L’arrachement au déterminisme familial à l’oeuvre à l’Education nationale : un garçon voit Tomboy au collège malgré le refus de ses parents (collège public, 6ème)

Malgré leur refus, leur fils a vu le film Tomboy le lendemain de sa diffusion,  à l’invitation d’un professeur. Le Directeur académique n’y a vu aucun problème. Il ira jusqu’à préciser que l’Education nationale a aussi le devoir d’éducation, et que le processus d’éducation passe par l’arrachement : c’est l’héritage des Lumières. Il finira l’entretien avec les parents en disant:  « Nous vous avons écoutés mais pas entendus. »

Ce témoignage a été écrit par les parents (les prénoms ont été changés).

Les faits

Notre fils François, qui a 11 ans, est en 6e dans un collège public dont nous étions très satisfaits. Nous avons appris, 3 jours avant, qu’il devait aller au cinéma avec sa classe pour voir le film Tomboy, dans le cadre du programme optionnel collège-cinéma (choisi par l’établissement donc non obligatoire).

Une semaine auparavant nous avions rencontré tous ses professeurs lors d’une réunion pour les parents d’élèves et personne ne nous avait informés au sujet de la sortie cinéma. Nous avons appris que les enseignants avaient eu la consigne d’annoncer cette sortie le plus tard possible, pour qu’il n’y ait pas de discussion, notamment sur le choix du film.

Nous avons demandé un rendez-vous urgent avec le Principal et j’ai passé une bonne partie de la nuit pour télécharger le film et le voir avec mon épouse et ensuite pour préparer un dossier-presse assez fourni pour le lendemain.

Nous l’avons rencontré, accompagnés d’une amie, qui a une fille  en sixième dans le même collège.

Le Principal, qui n’avait pas vu le film et qui ne connaissait rien sur Céline Sciamma, la réalisatrice du film, nous a d’abord reçus avec méfiance et nous a expliqué qu’il faisait entièrement confiance aux enseignants qui avaient fait le choix de ce film, ainsi qu’au Ministère de l’Education qui en faisait la promotion.

Progressivement, devant nos insistances et nos arguments, étayés par des citations des différentes interviews de C. Sciamma, il nous a proposé de nous mettre en relation avec le Directeur Académique et il a accepté que nos enfants restent à la maison pendant la sortie cinéma.

Nos deux enfants et le fils d’une amie, qui avait signifié son désaccord par courrier, sont donc restés à la maison le jour de la diffusion du film. Mais le lendemain, notre fils a été invité par son professeur de français à visionner le film à l’école, avec un camarade de classe qui s’était trompé d’heure et n’avait pas pu voir le film. Notre fils n’a pas osé refuser et a donc vu Tomboy. La semaine suivante, le film a été étudié en classe pendant 3 cours de français, avec contrôle noté à la fin.

Nous avons rencontré l’enseignante en question, avec un dossier-presse complété par la fameuse Lettre aux instituteurs de Jules Ferry, traitant de la liberté de conscience des élèves et du rôle éducatif prioritaire des parents ; elle nous a reçus poliment tout en nous précisant que nous étions dans l’aporie.

Nous avons ainsi essuyé une lourde tentative « d’arracher l’élève au déterminisme familial« , suivant l’édifiante déclaration de Vincent Peillon.

 

La réunion avec l’Académie

Le 31 janvier, nous avons été reçus par le directeur académique du département en présence de la chargée de mission « action culturelle » (dont Ciné Collège) et en présence d’une amie, Camille, témoin.

Dans la salle de réunion, une distance de 4m nous sépare. Nous sommes prévenus que nous disposons de 40mn (en réalité l’entrevue durera 1h15).

Philippe commence en déclarant que le but de l’entretien est constructif : nous proposons d’initier un nouveau type de partenariat entre l’Ecole et les parents d’élèves, par des contacts directs avec l’académie quand un sujet pouvant heurter les valeurs éducatives des parents serait à l’ordre du jour, qui serait non partagé par tous les parents d’élèves et donc non forcément porté par les associations de parents d’élèves.

Philippe donne l’exemple du choix du film Tomboy, choix fait sans aucune concertation avec les familles susceptibles d’être lourdement choquées par l’obligation d’envoyer leurs enfants (CM1-5ème) voir ce film et ensuite l’étudier en classe.

Il craint que les enseignants qui demandent à l’Académie de X de choisir Tomboy (parmi une soixantaine d’autres films) n’aient pas la neutralité requise pour traiter ensuite en classe des questions aussi fondamentales et intimes soulevées par ce type de film.

Le système de choix ne respecte donc pas la liberté de conscience des élèves et de leurs parents (N°6 et 11 de la Charte de la Laïcité à l’Ecole).

La chargée de mission  « actions culturelles » expose alors le système du choix des films. Il y a une trentaine de personnes : professeurs, directeurs d’école, Conseil général, salle de cinéma, Audac, etc. qui forment le groupe qui va émettre des vœux sur la soixantaine de films proposés par le CNC. Ces vœux remontent ensuite jusqu’à elle et s’en suit le choix définitif dès Avril-Mai pour la rentrée qui suit.

 

Nous en venons à parler du film lui-même : Tomboy=garçon manqué en anglais.

Le titre est trompeur : une fille garçon manqué, en usurpant l’identité masculine, n’irait pas jusqu’à se laisser embrasser sur la bouche par une autre fille. Avec l’acceptation de ce baiser et de la relation amoureuse évidente qui s’installe entre les deux filles, on entre dans le domaine de l’homosexualité. La preuve : le film a reçu le prix Teddy Award, prix LGBT.

Le film brouille les repères  des identités sexuelles et plonge les enfants dans le doute : suis-je bien une fille ? Suis-je bien un garçon ? Est-ce qu’un tel est bien un garçon ?  Est-ce qu’une telle est bien une fille ? Le doute est recherché pour déconstruire les stéréotypes de genre et il donne aux enfants le sentiment que tout est permis, tout se vaut et que le désir prime sur la réalité. On sort de la neutralité exigée par la charte de la laïcité, surtout quand on s’adresse à des élèves de 9 à 12 ans.

On n’est plus dans le simple apprentissage de l’égalité entre filles et garçons comme le prétendent ceux qui nous gouvernent. Le film s’inscrit dans l’idéologie du genre. Cette idéologie n’est pas enseignée à l’école de façon explicite ; elle est en revanche appliquée sournoisement.

Le Directeur académique nous rappelle qu’il y a juste une nécessité de promouvoir l’égalité homme / femme mais qu’en aucun cas la théorie du genre n’est appliquée.

Le film est immoral car il entraîne les jeunes spectateurs  dans l’empathie avec un personnage qui ment, qui usurpe une autre identité, qui manipule sa petite sœur en la rendant complice du mensonge et qui tombe dans des excès frisant la pathologie (confection d’un pénis en pâte à modeler pour donner l’illusion d’être un garçon lors de la baignade avec la bande de copains).

Le Directeur académique nous dit que l’Education Nationale a le souci de morale, de morale laïque, que l’Education Nationale doit être réservée.

Les parents ont le mauvais rôle : ils sont comme aveugles ; ils ne voient pas la dérive de leur fille et, quand la vérité éclate, la mère réagit de façon brutale, se pliant seulement aux préjugés sociaux.

 

Philippe dénonce le caractère militant du choix de ce film et rappelle le devoir de neutralité des enseignants, en citant Jules Ferry sur le respect des consciences des élèves et de leurs parents ; il lit un passage de la « Lettre aux instituteurs » du 17/novembre 1883 :

« leur transmettre, avec les connaissances scolaires proprement dites, les principes mêmes de la morale, j’entends simplement cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie, sans nous mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques. Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille : parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toute les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge.

Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu’où il vous est permis d’aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir. Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire, sinon, parlez hardiment : car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité. Si étroit que vous semble peut-être un cercle d’action ainsi tracé, faites-vous un devoir d’honneur de n’en jamais sortir ; restez en deçà de cette limite plutôt que vous exposer à la franchir : vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée, qui est la conscience de l’enfant. »

 

Puis Philippe cite la déclaration de Monsieur Peillon :

«  Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix. Je ne crois pas du tout à un ordre moral figé » (journal du dimanche du 2 septembre 2012). 

Le Directeur académique rétorque que ce ministère a aussi le devoir d’éducation, que le processus d’éducation passe effectivement par l’arrachement : c’est l’héritage des lumières.

 

Pour illustrer la réalité du gender à l’école, Philippe cite le projet ABCD de l’égalité et  la Ligne Azur.

Florence revient sur le cas concret de leur fils François, concerné par le ciné-collège.

Elle rappelle comment, malgré l’opposition  des parents de le laisser voir le film, acceptée par le Principal du collège, son professeur de français s’est débrouillé pour le lui faire visionner séparément, en CDI, avec un élève qui avait raté la séance au cinéma avec la classe, s’étant trompé d’heure.

Le film a été par la suite étudié pendant 3 cours de français, avec 2 contrôles à la clé.

Elle évoque le trouble que toute cette polémique a provoqué chez François, qui n’a  pas encore la maturité nécessaire, ni les outils d’analyse d’images subversives (vocabulaire, concepts …).

D’où l’inquiétude justifiée des parents qui, en tant que premiers éducateurs de leurs enfants,  devraient être écoutés quant au choix des films.

Réponse : Ce film n’est pas un film homosexuel. De plus, l’éducation Nationale a le devoir et la vocation de faire comprendre aux enfants le monde dans lequel ils vont vivre demain. C’est nous qui mettons de la sexualité et de l’homosexualité dans ce film, pas les enfants.

A partir du moment où le professeur de français choisit le ciné-collège, alors ça devient une matière obligatoire et l’enfant est obligé de suivre l’enseignement de la totalité du programme scolaire (n°12 de la charte de la Laïcité). Il nous informe aussi que le film a eu l’aval de l’Enseignement Catholique en Bretagne.

Il défend ensuite l’ABCD de l’égalité et la ligne Azur, qui n’auraient rien à voir avec le gender …

 

Questions : « Il ne nous resterait donc que la possibilité de falsifier (certificat médical) ou de mentir pour éviter à nos enfants la projection d’un tel film ? »

« C’est donc une école pour les « forts », que faites-vous pour les autres, plus petits, plus fragiles, ou avec peu de maturité ? »

Réponse : « Vous êtes libres de revoir avec eux cet enseignement avant ou après qu’ils l’aient reçu. »

Camille cite alors Céline Sciamma (TV5 MONDE):

« Je voulais pouvoir faire un film qui milite à un endroit où ça allait fonctionner, où je n’allais pas m’adresser à des gens déjà convaincus, parce qu’il y a une promesse de cinéma derrière. J’ai le souci de ces équilibres : il faut toucher un maximum de gens avec des messages subversifs et politiques,…le fait de situer l’histoire dans l’enfance, c’est aussi une façon de s’adresser à plus de monde, et de traiter de ce sujet qui peut être polémique à un endroit où il y a de la légèreté ».

« Cet aveu doit vous gêner ! », mais le Directeur académique répond qu’il ne trouve ce film ni subversif, ni politique, et que Céline Sciamma dit ce qu’elle veut.

 

Pour finir, Philippe constate avec tristesse que nous n’avons pas été vraiment écoutés.

Le Directeur académique finit la séance en déclarant : « Nous vous avons écoutés mais pas entendus. »